« En amour, la seule victoire, c’est la fuite, » disait l’Empereur Napoléon.

Peut-on croire un homme qui a tellement fuit qu’il a semé comme des petits cailloux ses soldats en revenant de Russie ?

Assurément, tant le langage de l’amour ressemble à celui de la guerre !

Nous parlons de sièges, de résistances, d’assauts, de prises et de redditions.

Mais en amour, il n’y a pas réellement de victoire tant la seule vérité est qu’il n’est pas de conclusion amoureuse sans que le prétendu vainqueur ne se livre aussi lui-même à celle qu’il a vaincue.

C’est pourquoi je n’arrive pas à me convaincre que l’héroïsme puisse être la fuite.

Pour moi, en amour, la fuite est un acte de survie et l’héroïsme, un acte de foi en l’autre.

Mais nous y reviendrons car d’abord nous devons nous demander de quoi nous parlons.

Je dis : « l’amour » mais quel amour ?

L’amour courtois de Lancelot pour Guenièvre avec une épée bien plantée au milieu du lit ?

L’amour sur commande de Marie et Rolla avec le suicide en fin de course ?

L’amour impossible, verbal et déchirant de Cyrano pour Roxane ?

L’amour, c’est l’inclination d’une personne pour une autre, de caractère passionnel et sexuel.

Bref, l’amour, il y a ceux qui le font et ceux qui en parle et je devrais donc changer de sujet.

Mais si ce n’est que cela : pourquoi diable parler d’héroïsme ? Parce que c’est un trop long voyage pour certains âges ? Parce que la longue route doit être faite à genoux ?

Pour comprendre cette importante question, je pris le Jury d’entendre le témoignage édifiant de Monsieur Alfred de Musset, ci-devant écrivaillon des temps romantiques.

Je précise au Jury que si les mots du témoin peuvent choquer, offenser ou carrément prêter à se fendre la poire, il est de notre devoir de ne rien vous cacher de la vérité.

Je note de surcroît que le témoin ne parle que des hommes et des femmes, les mœurs de l’époque étant malheureusement moins libertines qu’aujourd’hui.

« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels. »

« Toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées. »

Ne cherchez pas les mentions inutiles : y en a pas !

Le témoin poursuit d’ailleurs sa déposition :

« Le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange.

« Mais s’il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. »

Nous comprenons maintenant je pense pourquoi il y aurait besoin de quelque héroïsme en matière amoureuse.

Oui il faut être héroïque pour être amoureux ! Et oui nous nous désespérons de ne connaître de cette mélodie sentimentale que de fugaces instants sitôt arrivés, sitôt disparus.

Qui n’a jamais frémi en sentant une main glisser dans son dos ?

Qui n’a jamais trembler sous la caresse d’un baiser ?

Qui n’a jamais brûler d’étreindre entre ses bras un corps aimé ?

Et je ne parle pas que de l’amour orthodoxe entre un homme et une femme ! Relisons Jean Genet ! Ah Jean Genet … Voilà un gay luron sachant faire chanter sa langue pour nous insuffler sa vague déferlante et toujours recommencer d’érotisme trouble ! Peut-on imaginer que quelqu’un n’est pas frémi en entendant l’improbable et superbe cri du condamné à mort :

« Sur mon cou sans armure et sans haine, Que ma main plus légère et grave qu’une veuve Effleure sous mon col sans que ton cœur s’émeuve Laisse tes dents poser leur sourire de loup. Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour. Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes. On peut se demander pourquoi les Cours condamnent Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour… »

Ah… ça c’est l’amour !

Mais malheureusement, en amour comme ailleurs, l’égalité des hommes est plus évidente sur le papier que dans les actes.

Ils sont nombreux dans nos écoles, dans nos églises, dans nos familles, ceux qui ne connaissent de l’amour que les raisons de fuir, que les corps à cœur déçus…

N’avez-vous jamais rencontré de personnes toxiques ? De fous contrôlant au-delà du raisonnable la vie de leur amant ?

Que répondre à la personne battue par son partenaire ?

Que plaider devant la détresse humaine de la personne qui a cru à un sentiment si fort, si intense qu’elle s’est laissé désarmer, montrer à nue et blesser parce que l’amour n’était pour elle qu’un leurre, un mirage, une fausse promesse ?

Que dire à ceux pour qui l’amour n’est qu’un refuge contre l’angoisse, la peur, la haine ?

Quel mot employé avec les poilus de l’amour ? Comment comprendre leur Verdun ?

Il n’y a pas de héros alors. Il n’y a pas de gloire. Il n’y a pas de courage.

Il n’y a que détresse, solitude et malheur… Alors oui, il faut savoir fuir.

Ce n’est pas de l’héroïsme : c’est de la survie. C’est une nécessité.

La fuite n’est pas un choix, c’est une obligation, une fatalité…

Alors lorsque je parle d’héroïsme, je ne pense pas à celui qui s’accroche jusqu’au bout, je ne pense pas à celui qui reste par lâcheté, par compromis, par sottise.

Je ne pense à des exploits grandioses : l’héroïsme, c’est la force d’âme exceptionnelle qui fait d’un homme un héros. Ce serait donc le caractère des hommes divins, comme l’écrivait Diderot.

Peut-être…

Personnellement, je préfère considérer que c’est la seule façon de devenir célèbre quand on n’a pas de talent… et qu’on est laid.

Je ne pense pas à un héros quand je parle d’amour.

Imagine-t-on Hercule, Achille , Alexandre parler de leurs conquêtes comme d’un acte héroïque ?

Oui bon d’accord, Alexandre pourquoi pas…

Mais Casanova ? Tenez Casanova, voilà un séducteur qui savait y faire ! Mais n’a-t-il pas écrit ses mémoires à l’encre des yeux de ses maîtresses enchaînées dans les palais libertins de Venise ?

Et Georges Best ? Le sympathique gigolo irlandais ?

Non décidément, je ne crois pas à cette vision d’un amour héroïque car je pense que cette vision ne comprend pas ce que c’est qu’être réellement amoureux.

Je crois que pour vraiment comprendre l’héroïsme, en amour, il faut comprendre qu’être amoureux, c’est faire le choix de l’autre.

Être amoureux, c’est construire un rêve !

C’est rêver de marcher, un jour, sur les rouges plages au crépuscule, la main dans la main, sans un mot, sans un soupire, en laissant seulement la douce brise caresser son visage.

C’est rêver de se réveiller, un jour, cœur à cœur, tout brûlant des feux de l’amour, tout brûlant des feux de la passion.

C’est rêver de rire simplement par un regard, simplement par un geste, par un sourire.

C’est rêver de trouver la personne qui sera devant vous comme un soupire sur vos désirs, comme une fleur pour votre cœur.

C’est faire un rêve ! Et placer ce rêve dans les mains de l’autre !

Dès lors, l’héroïsme, en amour, c’est l’autre ! En amour, l’héroïsme n’est pas la fuite ! En amour, la fuite n’est qu’une fatalité !

En amour, l’héroïsme, c’est le choix de l’autre !